samedi 12 juin 2010

Emmanuelle Seigner: la bête lumineuse

Comme plusieurs autres comédiennes avant elle - Agnès Jaoui, Jane Birkin, Sandrine Kiberlain, Arielle Dombasle -, l'actrice Emmanuelle Seigner a décidé de chanter. Mais à sa manière bien à elle, charnelle et marrante, qui fait tout le charme de son premier album en français, Dingue. Elle sera en spectacle demain, aux FrancoFolies, dans le cadre de la série Chansons intimes. Très intimes.

C'est un bel animal racé et franchement lumineux qui prend place devant moi pour l'entrevue. C'est Emmanuelle Seigner, épouse de Roman Polanski, mais surtout actrice depuis vint-cinq ans et chanteuse depuis quatre ans: tout en français, son nouvel album Dingue fait suite à ses précédents, tout en anglais, soit Kiss Me Goodbye et Ultra Orange&Emmanuelle.

Qu'on ne s'étonne donc pas si quelques morceaux in English se glissent dans son spectacle aux Francos. Mais qu'on se rassure aussi: c'est en français qu'Emmanuelle Seigner voulait absolument chanter. Et quand ce sont des chansons en français signées Keren Ann (qui a collaboré au magnifique Chambre avec vue d'Henri Salvador) et Doriand, le plaisir est multiplié.

«Et c'est une belle histoire, cette collaboration, relate Emmanuelle Seigner. Après la tournée des précédents disques, je voulais déjà collaborer avec Keren Ann, mais on m'avait expliqué qu'elle ne travaillait plus pour d'autres et se concentrait sur ses projets solos, je n'ai pas insisté. On se met donc à chercher des chansons en français pour le prochain album: je trouve tout plutôt moche, sauf une maquette vraiment, vraiment bien. C'était une chanson qui s'intitulait Dingue et, je ne le savais pas, mais c'était Keren Ann qui l'avait écrite et qui la chantait! C'est ainsi que j'ai appris qu'elle et son partenaire Doriand avaient vraiment envie de travailler avec moi. J'ai pris cela comme un signe. Je me souviens très bien les avoir rencontrés le 18 décembre 2008 et, en mai suivant, l'album était fini, fait uniquement de leurs chansons.»

Le plus étonnant, c'est que ces chansons collent tout à fait à Emmanuelle Seigner alors qu'elle n'a pourtant à peu près donné aucune indication quant aux thèmes à aborder. «C'est plutôt sur le style que j'avais envie de les diriger: je voulais vraiment un album qui sonne comme ceux de Nancy Sinatra (la fille de Frank Sinatra, dont les succès furent These Boots Are Made For Walking, Bang Bang, etc.). J'aime cette femme un peu cow-boy, un peu masculine, avec un côté insolent, anti-macho, qui ne se laisse pas marcher sur les pieds - alors que nous sommes dans les années 60! - et qui se moque de tout, y compris de sa propre beauté. Alors, j'ai demandé à Keren Ann et Doriand d'imaginer ce que ça donnerait, Nancy Sinatra aujourd'hui et si elle était française.»

Il en résulte un très chouette album où les clins d'oeil sont nombreux, qui mêle légèreté et gravité, insolence et blessure: «J'ai une personnalité insolente, fait remarquer simplement Emmanuelle Seigner. J'aime bien me moquer des gens, me moquer de moi, j'aime le second degré - je trouve que les jolies femmes sont toujours trop premier degré... Et disons qu'avec l'histoire de mon mari, j'ai besoin de beaucoup d'humour.»

L'insolente au regard malicieux fait bien sûr référence à Roman Polanski, assigné à demeure en Suisse en attente de son procès pour le viol d'une adolescente, survenu il y a 30 ans. Emmanuelle Seigner n'en dira pas plus en entrevue, le sujet est manifestement lourd, et elle a plutôt envie de parler de musique et de son spectacle qui sera «beaucoup plus rock que l'album, on est quatre sur scène et ça bouge!»

«Je ne suis pas une chanteuse à voix, reprend-elle, j'en suis tout à fait consciente. J'ai commencé à chanter pour le film Backstage (2005), où je jouais une actrice paumée. Quand la bande sonore du film est sortie, j'ai dit à un directeur de la compagnie de disques: «Bon, ma voix n'est pas très bonne, vous allez voir, je vais m'améliorer, etc.». Mais il m'a répondu: «Oui, mais vous avez un timbre, et c'est ce qui compte, quand on chante: avoir une identité vocale.» Ça m'a donné confiance. Et ça ne m'a pas empêchée de chercher à m'améliorer», précise-t-elle en riant.

Ce qu'elle ne chantera pas sur scène, toutefois, ce sont les deux duos qui figurent sur Dingue: le premier, suave, avec Iggy Pop («Keren, Doriand et moi, on adorait sa version des Feuilles mortes, on lui a demandé s'il voulait chanter avec moi La dernière pluie et il a dit oui!») et le second, narquois, avec Roman Polanski (Qui êtes-vous?): «Je voulais lui rendre ce qu'il m'avait donné: il m'a donné mon premier grand rôle (dans Frantic en 1988 et dans Lunes de fiel en 1992), je voulais lui donner sa première chanson...»

Emmanuelle Seigner, demain soir, à la Cinquième Salle de la Place des Arts.

Marie-Christine Blais
La Presse


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