Les mauvais compagnons, c'est le titre d'une chanson de Plume Latraverse en 1982 et d'un album lancé en 1984. Mais Les mauvais compagnons, c'est surtout le nom donné aux musiciens qui l'ont accompagné à compter de 1980, ici et en Europe, et qui reprennent la route avec le grand Plume cet été. Y compris aux FrancoFolies de Montréal. Oubliez les compagnons de la chanson, place aux mauvais compagnons du rock... Octobre 2008. Dehors, il pleut et vente. À l'intérieur, dans une salle de réunion anonyme, Plume n'a pas le moral, ni la santé. En 18 ans d'entrevues, c'est la première fois que je le vois si fragile, si triste, et son album Plumonymes se meut d'ailleurs dans les mêmes eaux troubles et troublées...
Mai 2010. Dehors, il fait gros soleil. À l'intérieur, dans ma cuisine, Plume rit. Il s'amuse, se fait aller les grands bras, les longues pattes, la tête chevelue, raconte des anecdotes, fait admirer son «beau coat d'orchestre» qu'il s'est patenté lui-même avec une canne de peinture.
Ça va mieux, hein, Plume? «Ça va mieux parce que je fais du rock'n'roll, tab... répond le grand slack barbu. J'ai ressorti ma guitare électrique, ma vieille Fender. Et JC Marsan (son guitariste) m'a installé des pédales pour ma guitare, c'est la première fois que j'ai ça sur scène, cibole, pis j'adore la pédale de distorsion! Ce show-là, c'est comme un anniversaire. Il y a 40 ans, j'ai chanté avec le groupe de la Sainte-Trinité, et il y a 30 ans, j'ai commencé à chanter avec le groupe Les Mauvais Compagnons. Y'é temps qu'on fête ça avant que je prenne ma pension!»
D'où ce spectacle, baptisé sur son site Le bon vieux Plume et ses mauvais compagnons, qui s'arrête deux soirs aux Francos de Montréal, mais tourne également un peu partout ces temps-ci, pour une tournée All Dressed!
Michel Latraverse a bel et bien eu 64 ans, il y a près d'un mois. Mais Plume, son alter ego, demeure ce qu'il appelle lui-même un «clown ado». Et un peu à la manière du phénix, Plume renaît de ses cendres environ tous les sept ans: il passe par une phase intense de shows exubérants, fait une tournée, lance un disque, attrape un moment donné la «festivalite» aiguë, envoie tout r'voler, lance un autre disque, entre dans une phase plus intimiste, écrit des chansons plus blues, se terre, se tait, disparaît... Et bang, c'est reparti pour un nouveau cycle. Quitte à s'abîmer la santé un peu plus: «C'est pas Nagano, mon nom, c'est Magano», lance un Plume hilare, avant de s'exclamer, en voyant le petit décor qu'on lui a monté à coups de caisses de 24 pour la photo, que sa blonde va encore trouver qu'on l'associe trop à la bière. Maudite boisson maudite...
Les mauvais compagnons
Magano va donc diriger de nouveau Les mauvais compagnons... «C'est un groupe qui est né un peu par accident, relate Plume. Après mes débuts avec la Sainte-Trinité (dans les années 70), je me produisais avec un band qui s'appelait En cachette des femmes (avec qui a d'ailleurs été enregistré le disque All Dressed en 1978). En 1980, on doit partir faire une tournée en Europe. Mais à trois semaines d'avis, le band s'écroule... Ça arrive. Seulement là, on a 35, 40 shows à donner en Europe, qu'est-ce qu'on fait? Alors j'ai monté assez vite un autre groupe, avec notamment Cholet (le bassiste Denis Cholet, alias «Cholet Masson»), Marsan (le guitariste Jean-Claude Marsan, rebaptisé parfois Djayci Marsan), Ysengourd Knohr (c'est-à-dire le batteur Georges Casavant, ami de collège de Plume et membre notamment de la mythique formation jazz l'Infonie)...
Cholet a 24 ans, Marsan 23. Ils ne le savent pas encore, mais pendant les 30 prochaines années de leur vie, ils vont régulièrement jouer avec le grand Plume. Marsan est d'ailleurs de l'actuelle tournée.
Mais retournons en 1980 et en Europe: «Imagine, relate Plume, on commençait en Hollande, on terminait à l'Olympia de Paris, si je me rappelle bien. Mais le plus important, c'est que, contrairement à bien d'autres groupes québécois qui tournaient en même temps que nous autres en Europe, on ne se chicanait pas. On avait ben du fun ensemble, c'est tout du monde qui a de l'humour... Même si ça n'était pas toujours facile en tournée. En fait, tout ce qu'on accumulait de frustrations, on le gardait pour la scène, pis là, on se vengeait sur le monde (rires)! C'est vraiment là, pendant ces tournées en Europe - on pouvait y aller quatre, cinq fois par année, à l'époque - que j'ai commencé à faire mes monologues, que j'appelais Scènes de la vie conjugale, et qui pouvaient durer jusqu'à 40 minutes! Le fait d'être sur la route m'a donné le goût de jouer de plus en plus avec le langage... J'aime ça, la route. Ben, jusqu'à ce que je m'écoeure, disons.»
Coulé dans le plâtre, coulé dans le rock
Ça prend en fait de bons compagnons, et solides, pour l'accoter, «il Plumo». Non, pas à cause de l'alcool ou de la vie de barreau de chaise. Mais bien à cause de l'intensité particulière du grand Latraverse. En 1973, la vie de Plume a basculé à la suite d'un très grave accident, où il a tout perdu, notamment l'usage de sa colonne vertébrale. Plâtré de bord en bord, littéralement cassé de partout, il s'est mis à écrire et écrire et écrire des chansons.
Une fois libéré de son carcan, disons qu'il avait besoin de bouger. Il s'est mis à enregistrer disque sur disque, à multiplier les spectacles... «Ça m'a sauvé la vie, les chansons, dit pudiquement Michel Latraverse. C'est à partir de ce moment-là que je me suis mis à enregistrer un album, et dès qu'il avait fait ses frais, bang, j'en enregistrais un autre, pis un autre... Disons que j'avais beaucoup de stock en réserve. Et on expérimentait, on essayait des affaires: enregistrer dans une salle de bains, dans le fond d'un garde-robe... C'était des disques à petit budget, mais à grande inventivité. Ça n'a jamais vendu à 100 000 exemplaires, mais ça vend juste assez pour que je puisse continuer sans tomber dans la facilité. C'est comme être cordonnier: si t'aimes réparer les souliers, tu ne vas pas t'associer avec des fabricants de running shoes. C'est ce que je continue à faire: des disques, des spectacles, à ma manière de cordonnier», conclut Plume.
Plume Latraverse et ses mauvais compagnons, au Métropolis les 10 et 11 juin, puis en tournée au Québec.
Marie-Christine Blais
La Presse